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Inhabituelle, n'est-ce pas ? Pourtant, elle n'est pas plus fausse qu'une autre. Mais elle n'est pas pour autant plus juste...

Cette carte a deux particularités :

- La première est évidente : le pôle sud est en haut, alors que nous avons l'habitude de le mettre en bas.

- La seconde : cette carte est en projection de Gall-Peters, qui donne cette impression que le Nord est écrasé.

En cartographie, la projection est le système qui permet de passer de la sphère terrestre à un plan plat. L'une des projections les plus courantes est la projection de Mercator, qui projette la sphère terrestre sur un cylindre. Il suffit de dérouler ce cylindre pour obtenir un plan du monde.

En 1973, le cartographe allemand Arno Peters critiqua publiquement la projection de Mercator. En effet, les cartes Mercator ont la particularité de grossir considérablement la partie nord des continents : l'Alaska, le Groenland et la Sibérie paraissent énormes. Selon Peters, cette projection favorisait la représentation des pays développés au détriment du tiers-monde.

Il présenta donc sa propre projection : en décalant les longitudes de 45 degrés vers le sud, tout en gardant les latitudes en place, on parvient à représenter les zones immergées de façon plus ou moins égale.

Pendant ce temps, un cartographe australien du nom de Stuart McArthur proposa de représenter une carte du monde "à l'envers". En effet, dans l'espace, il n'existe ni sud ni nord : mettre le nord en haut est une norme arbitraire et on pourrait tout aussi bien choisir le contraire. C'est ce qu'il fit.

Les médias s'enthousiasmèrent pour une carte de McArthur en projection de Peters : c'est exactement celle que vous pouvez voir en tête de cette propa. On en fit un outil de meilleure compréhension du monde. Pour beaucoup de gens, cette carte serait plus vraie et renverse notre façon de penser en permettant de constater que les pays en voie de développement ont un poids beaucoup plus important qu'on ne le pense sur notre planète. Certains l'ont même développée. Ainsi, un député européen a-t-il diffusé cette carte avec mention des différents peuples du monde dans l'endroit où ils vivent, en vue de montrer la diversité ethnique de notre planète.

Un objectif louable donc. Mais...

...Mais cette carte est en fait un outil de propagande et on peut démontrer qu'elle ne peut prétendre être plus utile qu'une autre. Arno Peters est en effet devenu cartographe après un doctorat de propagande politique obtenu dans l'Allemagne de 1942. Après quoi, il s'intéressa à la cartographie comme expression des idéaux politiques.

Sa projection n'était pas nouvelle. Elle fut présentée dès 1772 par un mathématicien allemand du nom de Johann Lambert. James Gall la développa en 1855 et c'est pourquoi on appelle aujourd'hui cette projection "projection de Gall-Peters". Donc, rien de neuf dans le projet de Peters qui semble manquer d'objectivité.

Quand à MacArthur, son but premier en présentant des cartes inversées n'était pas de renverser notre façon de penser... Fervent patriote australien, il espérait simplement montrer que son pays pouvait être à la tête des nations sur une carte ! Voici ce qu'il déclara sur sa propre carte : "Enfin, le premier pas a été franchi dans la longue croisade tant attendue visant à sortir de l'anonymat notre nation glorieuse mais négligée en vue de la faire entrer dans le concert des nations en lutte pour le pouvoir ! Elle domine ses voisins du nord et règne splendidement à la tête de l'univers !" Bel exemple de fraternité mondiale, n'est-ce pas ?

Une analyse cartographique rigoureuse montre bien que la projection Gall-Peters n'est pas plus juste qu'une autre, car seul un globe terrestre rend la vraie image de notre terre. Aucune carte du monde ne sera jamais complètement exacte.

Car pour représenter une sphère dans un plan rectangulaire, il faut forcément sacrifier l'un ou l'autre des aspects. Or, la projection de Gall-Peters, si elle rend des zones à peu près de bonne surface, écrase totalement les distances et les directions. Et pour obtenir un meilleur rapport de surface qu'avec une projection de Mercator, les cartographes contemporains utilisent des projections dites côniques ou tangentes : les pays du Sud apparaissent beaucoup plus dans leurs véritables dimensions sans que les pays du Nord ne deviennent écrasés pour autant.

Quant au choix du Nord en haut d'une carte, il remonte au scientifique Ptolémée, donc au 1er siècle de notre ère : une époque où les européens étaient loin de penser que le Sud était beaucoup plus vaste que leurs propres terres. Alors, pourquoi en déduire que son emploi est nécessairement impérialiste ?

En conclusion, la carte qui est ici présentée (et que vous rencontrerez sûrement) a des buts louables, mais qu'elle remplit en prenant celui qui la regarde pour plus bête qu'il ne l'est. Non, le monde n'a pas cette forme. Et si nous devons apprendre à regarder le Sud et remettre en question nos certitudes, nous n'avons pas pour autant à croire qu'une carte répondant à certains critères remplit plus de vérités qu'une autre.

Sources : "L'épopée cartographique" John O. E. Clark.

"Atlas of Acient Archaeology" Jacquetta Hawkes

"Atlas historique mondial" G. Duby

"Atlas Universel" Le Monde

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