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Posté(e)

En travaillant pour décrypter la façon dont la minéralogie d'une fente alpine a pu s'établir, j'ai l'intuition que le bore est un composé avec une appétence plus forte que d'autres à s'associer à d'autres composés notamment dans des constructions de silicates.

Par exemple dans les amphibolites, pourrait-on imaginer que s'il y a présence de bore > axinite de manière préférentielle et à épuisement du bore > épidote par exemple ?

Si un géochimicien ou un spécialiste de chimie minérale peut m'éclairer sur la spécificité de cet élément...

Et tant que l'on y est, avec quelle molécule l'atome de bore est-il facilement substituable dans une chaine minérale ?

merci de votre aide

greg la veine

Posté(e)

La question que tu poses est très délicates et requiert une expérience dans le domaine des silicates qui est à vrai dire un domaine particulier de la chimie minérale. Les borates sont aussi étudiés à part. Bref ce que tu demandes est très technique et c'est sans doute pour ça que tu n'as pas eu de réponse jusqu'à maintenant.

Pour ta première question, j'ai envie de dire "pourquoi pas" les formules sont vraiment très proches ça ne me parait pas impossible, mais je n'en sais rien.

La deuxième question est un peu plus dans mes cordes. Pour substituer un atome par un autre, il faut qu'il y ait une certaine ressemblance entre ces atomes. Les atomes doivent avoir des dimensions en fonction de la coordinence assez proches, des charges identiques si possible, et une ionocovalence de liaison proche. Enfin il faut des propriétés "électroniques" proches également. Pour éclairer tout ça je vais mettre quelques exemples.

Le magnésium, le cobalt, le nickel et le zinc ont une taille proche quelque soit la coordinence, et se trouvent dans la nature à l'état divalent (le cobalt peut être rencontré à l'état trivalent). Ces trois éléments peuvent adopter des coordinences tétraédriques et octaédriques, aussi il n'est pas rare de les trouver tous en substitution les uns les autres : cobalt en substitution du magnésium dans les spinelles bleus (site tétraédrique), cobalt en substitution du zinc dans l'adamite rose (site octaédrique), cobalt en substitution du zinc dans la willémite bleue (site tétraédrique).

Le cas des propriétés électroniques est à rapprocher des éléments comme le cuivre II et le manganèse III qui sont des cation dit Jahn-Teller : ils ont une grande préférence pour des environnement très distordus. Cela explique pourquoi les composés à base de cuivre II (Delafossite CuFe2O4) et de manganèse III (Haussmanite Mn3O4) n'ont pas de structure spinelle alors que cela est tout à fait possible.

Maintenant on peut répondre à ta deuxième question. Le bore dans la nature est un cation trivalent qui se place au centre de triangles BO3 (borax) ou plus généralement d'octaèdres BO4 (borosilicate). C'est un atome très petit formant des liaisons très covalentes avec l'oxygène. Partant de là on peut imaginer substituer sans "trop" de difficultés du béryllium II, de l'aluminium III et du silicium IV au bore. Cependant le bore est vraiment petit et dans les borosilicates que j'ai pu regarder pour répondre à ta question, le bore occupe son propre site. C'est un cas différent de l'aluminium peut véritablement prendre la place du silicium dans une structure, les deux atomes occupant le même site : c'est une vraie substitution.

Tu devrais regarder s'il n'y a pas des publications disponibles sur le sujet dans la revue American Mineralogist. Ta question est vraiment difficile et demande un savoir très spécialisé. N'aie pas peur de contacter un laboratoire de minéralogie, il y en a un sur Paris et plein sur le web.

Invité Rémi BORNET
Posté(e)

:siffler:

Le bore est un élément léger et incompatible. C'est à dire qu'il a tendance a migrer facilement dans le liquide lors des processus de fusion partielle. Aussi on le retrouve préférentiellement dans les derniers jus de fusion des plutons granitiques, il contribue à former les tourmalines entre autre dans les filons de pegmatite puisqu'il se retrouve concentré dedans. Lors des processus métamorphiques, il y a un phénomène qui se produit qui s'appelle la métasomatose, des fluides généralement supercritique migrent au travers des roches ils peuvent s'enrichir en éléments justement incompatibles, c'est ce phénomène qui je suppose, permet la cristallisation de borates tardifs dans les fentes alpines. Le bore reste dans le fluide métasomatique jusqu'il y soit suffisament concentré (via la cristallisation d'autres espèces) pour permettre la mise en place d'axinite entre autre...

@+

Invité Rémi BORNET
Posté(e)

:coucou!:

La compatibilité est littéralement la propention d'un élément chimique à rester dans la phase solide (minéral) lors d'un processus de fusion partielle. C'est un paramètre définit par un coefficient de partage noté "D", qui est le quotient de la concentration de l'élément dans le solide sur sa concentration dans le liquide. Si D est inférieur à 1 l'élément est dit incompatible, il préfère donc rester dépolymérisé, si D est supérieur à 1 l'élément est dit compatible. Cette "compatibilité" est fonction du contexte géologique et du rayon ionique de l'élément.

@+ :super:

Posté(e)

Merci pour le complément d'information, au niveau des substitutions possibles du bore tu as des infos ? Suivant tes apports, l'axinite doit arriver après l'épidote quand le bore est suffisamment concentré, est ce que l'on observe dans les fentes alpines ?

Posté(e)

Dans les fentes alpines où elle est présente, l'épidote est un des premiers (pour ne pas dire le premier) minéraux à cristalliser (à ce titre, celle qui sont préservées, dans le massif du Mt-Blanc, sont, généralement incluses dans les criataux de quartz…). L'axinite, là où je la connais, est plus tardive…

Posté(e)

Le bore est un élément qui semble se faire rare dans les fentes alpines... Et quand il est là, c'est Whaouuw

D'un point de vue géologique, vous avez déjà expliqué pourquoi on avait du mal a le trouver dans des roches du type amphibolite : élément incompatible. C'est logique, cela dit on m'a donné une autre explication, dont je ne connais pas la teneur scientifique, mais qui fait rêver... Si il y a un spécialiste de la cosmogénèse dans la salle, je veux bien un coup de main pour l'explication qui va suivre :

Lors de la cosmogénèse, si j'ai bien compris, ont été fabriqués de façon séquentielle dans le temps tous les éléments chimiques que l'on connait.

A t+1 après le big-bang, c'est l'hydrogène (à peine quelques secondes, si on en croit les physiciens)

A t+2, (moins vite, mais quand même très vite)

A t+3, t+4, etc..., tous les multiples de 4 du tableau de Mendeleiev, car ce sont les plus stables !

Et puis à t+n, tout le reste du tableau...

Ce qu'il faut savoir, c'est que les étoiles (dont le soleil), qui sont le siège d'incroyables réactions thermonucléaires, sont aussi de véritables usines à fabriquer des éléments chimiques (nous et nos atomes, on vient tous,d'une étoile, à un moment donné, mais on ne sait pas forcémment laquelle !)

Bref, tout ça pour dire qu'à un moment de l'histoire de l'univers, on avait fabriqué à peu près tous les éléments, sauf les plus légers - l'hydrogène qui est le premier puisque 1, je parle du Béryllium, du Bore et du Lithium.

Or il se trouve qu'avant que ne soient créés nos 3 héros, la terre avait déjà eu la bonne idée de se différencier et de se structurer comme on la connaît aujourd'hui : noyau + manteau + croûte.

Et quand les 3 lascars (Lithium, Bérylium, Bore), qui sont les lève-tard de la chimie, sont arrivés sur Terre par le rayonnement cosmique (ce qu'on appelle "vents solaires"), il se sont gentiment insérés dans les parties les plus superficielles de la Terre, et de ce fait comme ils avaient une sale gueule, se sont retrouvés interdits de séjours dans les parties les plus internes (non-non, il n'y a pas d'allusion politique là-dedans).

On les retrouve quand même parfois en profondeur, passagers clandestins de la croûte recyclée (zones de subduction), et c'est comme ça qu'on les retrouve dans certaines pegmatites, et notamment celles qui dérivent de la fusion partielle de méta-sédiments (leucogranites, type "S",).

Posté(e) (modifié)

Le petit bonhomme avec des lunettes de soleil, c'est le Bore, raccourci clavier de m.....de

Je me suis donc permis une petite rectification… exit le petit bonhomme à lunettes noires !

Modifié par Papyfred
Faciliter la lecture du message précédant, très enrichissant
Posté(e)

je m'attendais à des réponses pointues mais là, je dois avouer que vous m'avez bleuffé ! :sourire:

Je rebondis sur qq points qui ont été posés :

- en Oisans le bore n'est pas si rare dans les amphibolites puisque justement ce sont les axinites qui ont rendu l'Oisans si célèbre. Par contre de ce que j'en sais de la litérature, le bore serait arrivé par le "drainage" depuis les zones sédimentaires détritiques du lias / trias. Idéalement, c'est le cas du Rocher d'Armentier où ces roches sont situées juste au dessus des amphibolites. Le même principe serait à retenir pour Balme d'Auris et Rampe des Commères sauf que cette couverture sédimentaire est aujourd'hui disparue. Pour les autres secteurs classiques de l'Oisans (chamrousse, cornillon, Col du Glandon), la seule proximité relative de ces zones détritiques pourrait expliquer l'arrivée de ce bore.

- toujours dans les borosilicates de l'Oisans, à ma connaissance le seul qui a été trouvé en dehors des axinites serait de la datolite au Vallon de la Selle (dans amphibolites).

- On notera d'ailleurs qu'en Oisans, de la tourmaline (a priori shorl) a été trouvée dans les zones métamorphiques localement pegmatitiques d'Allemont > le bore n'est donc pas "endémique" des amphibolites. (j'avais publié une ou deux photos dans les pages du Dauphiné)

- pour compléter Papyfred, je n'ai pas noté justement qui de l'épidote et de l'axinite pouvait s'être déposé en premier dans les fentes de l'Oisans. J'essayerai d'y être plus attentif.

greg la veine

Posté(e)

Réponse à Greg : quand je dis que le Bore est rare dans les amphibolites, c'est en tant que source primaire, et sans compter la contribution d'une source externe proche. Je suis d'accord avec le Trias, c'est pleins d'évaporites la-dedans, et ça piège bien les éléments incompatibles !

Pour l'épidote, en effet, on la retrouve très souvent en première génération de cristallisation, la chlorite est plus souvent à l'autre bout de la chaine (hélas dans certains cas).

Olivier

Posté(e)

Salut Greg ... et les autres!

Tu serais venu à ma géniale conférence faite à Grenoble, résultat de ton odieuse et obstinée pression (je déconne! c'est pour les autres que je précise! :super: ), il y a un an et demi, tu aurais sans doute eut quelques éléments de réponses !

Alors voilà :

D'abord, il faut savoir qu'il existe très peu de littérature sur l'axinite, et le peu que l'on peut trouver concerne surtout l'axinite des gîtes métasomatiques granitiques et des skarns.

- En contexte "fentes alpines", il semblerait que sa présence ne soit pas simplement liée à la présence du bore mais également à celle du fer et accessoirement Mn et Mg . D'ailleurs, dans les fentes alpines, nous ne sommes en présence que de ferro-axinite. L'axinite est également fréquente dans les secteurs où la pyrrhotite est abondante.

Dans les aiguilles de l'Argentières, j'ai montré que la zonéographie de l'axinite était beaucoup plus réduite que celle de l'épidote, ce qui implique que le domaine thermodynamique de formation de l'axinite est moins étendue que celui de l'épidote. Autrement dit, pour qu'il y est formation d'axinite il faut du bore (très volatil), du fer et des conditions thermodynamiques favorables sinon, adieu beaux cristaux.

L'expérience sur le terrain montre d'ailleurs que les sites à axinites sont beaucoup plus rares que ceux à épidote (quasiment ubiquistes dans les gneiss et amphibolites).

- l'axinite ne précipite pas à la place de l'épidote mais plus vraisemblablement au cours d'une même phase à ceci près que la phase de précipitation de l'épidote est beaucoup plus étendue. On pourrait traduire cela en disant que si tous les éléments sont présents dans le fluide nourricier avec l'abaissement des conditions thermodynamiques il y d'abord formation d'épidote puis épidote + axinite et enfin poursuite de croissance de l'épidote (tant qu'il y ait des fluides nourriciers).

- l'origine du bore est liée effectivement aux évaporites qui sont les métallotectes originels et fixent le bore sous forme d'ulexite, boracite, colemanite...

Diverses hypothèses quant à l'origine du bore des axinites :

- simples proximité d'évaporites triasiques (je suis moyennement convaincu)

- évaporites hercyniennes métamorphisées => cipolin avec formation de tourmalines ou contact entre roches volcaniques (originellement nos amphibolites actuelles) et évaporites qui piège le bore sous forme d'axinite métasomatique (au cours du métamorphisme hercynien) puis remobilisation et libération du bore au cours du métamorphisme rétrograde alpin (hypothèse que je soutiens dans les aiguilles de l'Argentières car en plus la zonéographie à axinite est hectométriquement dans l'environnement des "filons" de cipolin)

- contact entre terrains sédimentaires enclavés dans des métadolérites riches en tourmalines. Mais là malgré que l'histoire se passe dans les Alpes on est plus dans un contexte de skarns ou métasomatiques. Cela dit, on a un cliché du premier épisode évoqué dans l'hypothèse précédente.

Voilà, vite fait... et probablement mal dit. ""M'enfin"" !!! :sourire:

Posté(e)

Très intéressant ce sujet...

Beaucoup de chasseurs de minéraux alpins se sont posés ces questions, l'axinite fait rêver et on aimerait avoir des guides de prospection solides...

Greg, tu parles de littérature sur le sujet, pourrais-tu nous donner les références ?

Posté(e)
Salut Greg ... et les autres!

Tu serais venu à ma géniale conférence faite à Grenoble, résultat de ton odieuse et obstinée pression (je déconne! c'est pour les autres que je précise! :surpris: ), il y a un an et demi, tu aurais sans doute eut quelques éléments de réponses !

Si c'était à Grenoble alors, cela devait forcément être bien ! :P: Ben ouais, je sais que je t'ai tanné pour cette conf' mais en habitant loin, c'est maintenant pas simple d'aller au club. En même temps, si tu t'étais décidé plus tôt :super:

Sur le fond du message : merci de ces précisions qui en effet complètent bien une partie de mes réflexions. Je suis bien d'accord avec toi sur le caractère localisé des secteur à axi et je me retrouve bien dans la description des phases : épidote > axi/épidote > épidote qui est beaucoup plus proche de mon observation des échantillons.

Pour la question de la nécessité de présence de Fe et Mn : pourquoi pas. Dans tous les cas, ce sont des éléments que l'on peut retrouver assez facilement dans ces roches cristallines du coin. Mais, au moins d'un point de vue théorique, je m'intéroge en me demandant si un autre minéral aurait pu apparaitre si le Fe et le Mn n'avaient pas été là...

Sur l'origine du bore, tu sembles évoquer l'idée des cipolins au contact des roches volcaniques qui se retouveront métamorphisées plus tard. Cette hypothèse collerait bien avec la présence de shorl à Allemont qui justement est à cette limite. +1 pour moi donc pour cette hypothèse.

J'espère que d'autres analyses de nos amis permettront de pousuivre sur ce sujet que je regrette pas d'avoir lancé

greg la veine

Posté(e)

Oui passionnant ce sujet :surpris:

Greg tu as le mérite de pauser les bonnes questions :super:

Le niveau étant particulièrement relevé je me permets une question, tentant de faire des liens avec notre découverte de tourmaline dans le Mont Blanc cet été.

Visiblement tarive, (peut être pas tant que ça) notre tourmaline serait le résultat de la remobilisation de l'axinite ?

Mais alors comment expliquer qu'elle ait résisté à la chlorite ?

Jean-Marie

Posté(e)

je ne pense pas car à ma connaissance pas d'axinite connue dans cette partie. On pourrait plutôt expliquer l'arrivée du bore avec un phénomène tel que je l'évoquais en Oisans : venue depuis les zones du Lias/trias. Ces terrains se trouvent sous Chamonix (comme ils étaient plus fragiles, il ont été plus creusés par l'érosion et ont donné la vallée actuelle.

Cette question là me semble pas la plus complexe dans le cas de votre découverte, a priori

Je m'intéroge plutôt sur autre chose dans la chimie de cette poche : où sont passés les molécules de potassium (K) issues de la déstabilisation des biotites ? A part les feldspaths, aucun minéral issu de votre four ne semble en contenir. On m'a suggéré la transformation en phosphates de potassium fortement solubles et qui auraient été lessivés. Mais c'est une autre question...

amicalement

greg la veine

Posté(e)
Pour la question de la nécessité de présence de Fe et Mn : pourquoi pas. Dans tous les cas, ce sont des éléments que l'on peut retrouver assez facilement dans ces roches cristallines du coin. Mais, au moins d'un point de vue théorique, je m'interroge en me demandant si un autre minéral aurait pu apparaitre si le Fe et le Mn n'avaient pas été là...

Pourquoi pas de la datolite ? Chimiquement c'est tout à fait faisable et puis j'ai cru lire qu'il y en avait justement.

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